L’année 2018 a été placée sous le signe de la blockchain. Le premier semestre a été dominé par les demandes relatives à l’émission de jetons reposant sur la blockchain, autrement dit le marché primaire. Les demandes adressées à la FINMA à propos du marché secondaire de produits reposant sur la blockchain se sont toutefois multipliées au second semestre. Parallèlement, la FINMA s’est également intéressée à d’autres questions concernant les Fintech.
La Suisse est devenue un pays de prédilection pour les ICO. Lors d’une ICO, les investisseurs virent des moyens financiers (habituellement sous la forme de cryptomonnaies) à l’organisateur de l’ICO. En échange, ils reçoivent des coins ou tokens (jetons) reposant sur une blockchain, qui sont créés sur la base d’une blockchain nouvellement développée ou au moyen d’un smart contract sur une blockchain existante, et qui y font l’objet d’un enregistrement décentralisé. Il n’y a pas encore d’exigences réglementaires spécifiques concernant les ICO. Il existe cependant différents points de contact entre les ICO et le droit général régissant les marchés financiers. Grâce à son interprétation du droit général régissant les marchés financiers, la FINMA permet l’utilisation de technologies innovantes.
Parallèlement, la FINMA attire l’attention des investisseurs sur les risques inhérents aux ICO (cf. notamment communication sur la surveillance 04/2017 du 29 septembre 2017). Ainsi, les jetons acquis dans le cadre d’une ICO peuvent être soumis à une forte volatilité des prix. De nombreuses ICO n’en étant qu’à leurs débuts, il subsiste beaucoup d’incertitudes en lien avec les projets à financer et à réaliser. La FINMA ne peut exclure que des activités d’ICO soient exercées à des fins d’escroquerie. La FINMA ne tolère pas les comportements frauduleux ou abusifs ou le contournement du cadre réglementaire, et prend au besoin les mesures requises.
La conception des ICO étant très variable, les lois sur les marchés financiers éventuellement applicables doivent être appréciées au cas par cas. Dans le guide pratique du 16 février 2018, la FINMA a déterminé les informations minimales dont elle a besoin pour traiter les demandes d’assujettissement concernant des projets d’ICO et les principes selon lesquels elle y répond. La FINMA a organisé des tables rondes à Zoug, Genève et Lugano afin de présenter le guide pratique aux acteurs du marché. La transparence sur l’application du droit en vigueur a ainsi été instaurée autant que possible, pour que les acteurs du marché intéressés puissent s’informer rapidement et simplement et répondre eux-mêmes à la plupart des questions liées au droit de la surveillance. La FINMA se tient à la disposition des acteurs du marché qui souhaiteraient une prise de position sur leur projet ICO concret avant de débuter leur activité. Jusqu’à la fin 2018, la FINMA a reçu environ 155 demandes d’assujettissement d’ICO détaillées, dont la plupart ont été traitées. Conformément à son guide pratique, la FINMA distingue trois types de jetons : les jetons de paiement, les jetons d’utilité et les jetons d’investissement :
Des jetons hybrides sont également possibles. Un jeton peut par exemple se qualifier simultanément comme jeton d’utilité et comme jeton de paiement.
Dans l’environnement de la blockchain, les jetons ou les coins sont gérés et virés avec des applications logicielles (wallets). Ces wallets s’entendent pour l’essentiel comme un portemonnaie numérique, grâce auquel les utilisateurs conservent leurs cryptoactifs ou effectuent leurs virements. Chaque virement doit être signé avec la clé privée (private key) du détenteur du jeton. Il existe deux types de prestataires de wallet : les prestataires de custody wallet et les prestataires de non-custody wallet.
Les prestataires de custody wallet gardent et gèrent les private keys des clients et possèdent un pouvoir de disposition direct sur les actifs de tiers qui leurs sont confiés grâce à la garde des private keys. Ils fournissent donc une prestation pour le trafic des paiements. La prestation à titre professionnel pour le trafic des paiements est soumise à la loi sur le blanchiment d’argent. Des questions relevant du droit bancaire se posent par ailleurs. Selon la pratique actuelle de la FINMA, une autorisation bancaire n’est pas requise dans des conditions strictes, si les monnaies virtuelles sont conservées sur la blockchain séparément pour chaque client et peuvent en tout temps être attribuées aux différents clients.
Dans le cas des prestataires de non-custody wallet, les clients sont les seuls à avoir accès à leurs private keys. Les prestataires de non-custody wallet n’ont donc aucun pouvoir de disposition légal ni effectif sur les actifs de tiers. C’est la raison pour laquelle ces prestataires ne sont pas soumis à la loi sur le blanchiment d’argent selon le droit en vigueur et les standards internationaux.
Lorsqu’une plate-forme de négociation souhaite négocier des jetons d’investissement en plus des jetons de paiement ou d’utilité, il est probable que ceux-ci doivent être considérés comme valeurs mobilières au sens de la loi sur l’infrastructure des marchés financiers. La négociation des valeurs mobilières sur des plates-formes est réglée par la loi sur l’infrastructure des marchés financiers. Différents projets de Fintech actuels envisagent la mise en place de plates-formes de négociation permettant le négoce de valeurs mobilières entre plusieurs utilisateurs (négoce multilatéral) sans liberté d’appréciation de l’exploitant de la plate-forme de négociation lors de la réunion de l’offre et de la demande (négoce non discrétionnaire). Selon la loi sur l’infrastructure des marchés financiers, les plates-formes de négociation ont besoin d’une autorisation comme bourse ou comme système de négociation multilatéral pour un tel négoce de valeurs mobilières. Selon le droit en vigueur, seuls des établissements réglementés, mais non des particuliers, peuvent être admis comme participants à une bourse ou à un système de négociation multilatéral. A l’inverse, les systèmes organisés de négociation (SON) permettent le négoce bilatéral ou multilatéral discrétionnaire des valeurs mobilières. Les SON peuvent être exploités par des banques ou des négociants en valeurs mobilières et peuvent aussi admettre des clients privés en qualité de participants (au contraire des bourses et des systèmes multilatéraux de négociation).
Les plates-formes de négociation mettent en relation l’offre et la demande dans le négoce de jetons, par exemple dans un carnet d’ordres. Les plates-formes de négociation dites centralisées gèrent des avoirs de clients en cryptomonnaies dans leurs propres wallets et ont accès à leurs private keys. Elles conservent souvent durablement des fonds de clients en monnaie étatique ou en cryptomonnaie. Les moyens de paiement (légaux ou cryptés) reçus peuvent, selon les cas, constituer des dépôts du public, ce qui rend nécessaire une autorisation selon la loi sur les banques, conformément au droit de la surveillance en vigueur.
Les plates-formes de négociation décentralisées ne tiennent pas de wallets pour leurs clients. Elles n’ont donc de points de contact avec le droit bancaire que dans certains cas, par exemple lors du recours à des smart contracts assortis d’une fonction de règlement ou de remboursement. Dans la mesure où elles ont un pouvoir de disposition sur les actifs négociés, en ayant par exemple la possibilité de valider ou de suspendre des transactions ou des ordres, elles sont soumises à la loi sur le blanchiment d’argent.
Le 15 juin 2018, le Parlement a approuvé l’intégration de dispositions sur la promotion de l’innovation dans la loi sur les banques et a créé une catégorie d’autorisation supplémentaire (autorisation Fintech) pour les établissements qui acceptent des dépôts du public jusqu’à concurrence de 100 millions de francs, sans pratiquer d’opérations actives, autrement dit sans investir ou rémunérer les dépôts. Les conditions de l’autorisation Fintech ont été concrétisées par le Conseil fédéral dans le cadre d’une révision partielle de l’ordonnance sur les banques. Contrairement à l’autorisation Fintech, l’espace non soumis à réglementation de la sandbox est déjà en vigueur depuis août 2017. Dans le cadre de l’exception dite du «bac à sable» (sandbox), des dépôts du public peuvent être acceptés sans autorisation de la FINMA jusqu’à concurrence de 1 million de francs, sachant que les obligations de la loi sur le blanchiment d’argent doivent être respectées et qu’une affiliation à un OAR est nécessaire.
La nouvelle autorisation a pour but de promouvoir les modèles d’affaires innovants. Il est dans la nature de cet esprit d’innovation que l’autorisation ne vise pas un certain modèle d’affaires statique. En principe, la nouvelle forme d’autorisation peut s’appliquer à tous les modèles commerciaux qui s’accompagnent d’une acceptation de dépôts du public. Selon l’organisation du modèle commercial, l’autorisation Fintech peut entrer en considération pour les prestataires de services de paiements, les dépositaires de cryptomonnaies ou les crowdlenders. La conception fondée sur les principes de l’autorisation Fintech correspond à l’approche suisse de la réglementation. La FINMA a publié sur son site Internet un guide pratique qui expose les exigences à l’égard des demandes d’autorisation correspondantes, afin d’en permettre un traitement aussi rapide que possible.
(Extraits du rapport annuel 2018)